C’est une question qui peut sembler taboue : « Nous nous disputons souvent, est‑ce inquiétant ? Est‑ce que cela signifie que nous ne nous aimons plus ? » Je réponds volontiers :
« Ce n’est pas la fréquence des disputes qui détermine la gravité du conflit, mais la manière dont vous les résolvez ; c’est souvent cela qui révèle des enjeux plus profonds. »
Le mythe de l’amour : tout doit être parfait !
Les contes de fées (Blanche‑Neige, La Belle au Bois Dormant, Là‑Haut, etc.) nous ont vendus l’image d’un couple parfait, fluide et sans impasse. Inconsciemment, cela peut nous pousser à formuler des attentes envers la relation amoureuse que nous souhaitons.
Dans les premiers mois suivant le début de la relation, tout semble effectivement simple et harmonieux : chacun se montre à l’écoute, compréhensif, soutenant, etc. Alors il nous arrive à regarder fièrement ce couple nouveau et de le juger à la hauteur de nos attentes et besoins. Mais il arrive souvent un moment où l’on découvre que notre « princesse » a ses défauts, et que notre « prince » n’est pas toujours aussi dévoué qu’on le croyait. Il est alors normal d’éprouver de l’agacement et de se poser des questions quand les désaccords commencent à être visibles. Les patients viennent à se poser ces questions : « est-ce que je suis avec la bonne personne ? » ; « est-ce que je dois quitter la relation car on se dispute trop ? »

J’aime rappeler qu’il est presque illusoire d’attendre d’un couple qu’il ne vive que des moments agréables, et que toute émotion négative serait nécessairement le signe d’une relation défaillante. Bien sûr, si ces épisodes douloureux se multiplient et s’installent durablement, il devient légitime de remettre la relation en question pour se protéger.
Ici, je parle de conflits marqués par des reproches forts souvent en lien avec les sentiments de trahison, d’humiliation ou d’abandon :
- « Il ne me respecte pas ; quand je rentre du boulot, il joue avec ses amis et j’ai l’impression de n’exister pour lui »
- « Quand je suis avec des amis, elle me lance des piques pour m’humilier et affirmer sa supériorité »
- « Il refuse d’admettre qu’il a un problème de communication ; je m’exprime, lui non : c’est qu’il ne m’aime pas assez pour changer »
Ce qui transforme un conflit “normal” en un conflit “toxique”, ce sont les rigidités : le refus de communiquer, la volonté d’imposer son point de vue, les jeux de pouvoir qui s’installent.
Quoi qu’il en soit, je rappelle toujours que deux individus, avec leurs histoires, leurs valeurs et leurs attentes propres, ne peuvent pas être d’accord sur tout — et c’est tant mieux ! Tant que les désaccords sont exprimés et entendus, ils nourrissent une relation authentique.
… Ce qui compte, c’est la façon dont on les gère
J’insiste souvent auprès de mes patients sur le fait qu’il existe deux façons de vivre un conflit : soit comme une lutte pour imposer sa « vérité », soit comme une occasion d’exprimer une vision différente.
Tant qu’il s’agit de prouver qu’on a raison, la dispute peut durer des siècles : nos histoires, nos parcours, nos référentiels sont tellement variés qu’il est inévitable d’avoir des réalités distinctes. Sans même s’en apercevoir, on s’enferme dans ce mécanisme de persuasion : on argumente, on cherche la reconnaissance de l’autre, tout en oubliant que, même si l’interlocuteur nous semble « faux », « de mauvaise fois », « arrogant » dans notre cadre de référence, il n’est pas le « méchant » de sa propre histoire, il n’est pas ce que vous vous racontez (sinon, on aurait des fonctions très manichéens, à la Disney).
Une fois qu’on intègre cette idée, on saisit la véritable complexité du conflit et on peut basculer vers une posture plus apaisée : le conflit devient alors un espace d’échange de points de vue. J’aime dire que le conflit est avant tout la rencontre de deux individus.
Vous l’aurez compris, je ne m’agite pas en séance lorsqu’une personne ou un couple me fait part de conflits rencontrés. Au lieu de cela, j’explicite avec eux leur position pour réfléchir ensemble à instaurer une vision du conflit plus apaisée : « je suis ici pour gagner un débat ou faire entendre ma vision ? ». L’important n’est pas d’éviter les disputes, mais de les transformer en leviers de compréhension mutuelle :
- Je laisse l’autre exprimer ses sentiments sans l’interrompre ni le juger (même si c’est parfois dur à entendre ou que l’on est pas forcément d’accord).
- Je tente de reformuler et clarifier pour vérifier que j’ai bien compris le point de vue de mon partenaire avant de répondre.
- Je ne cherche pas à écraser sa vision, aussi négative soit-elle de mon comportement, mais je peux exprimer légitimement mon désaccord et la manière dont je vois mon comportement
J’aime rappeler que ces trois premiers points ouvrent un « troisième terrain » relationnel, ni à vous ni à votre partenaire, où chacun conserve sa légitimité sans avoir à renoncer à sa vision. C’est sur ce terrain commun que vous pouvez explorer ensemble des solutions concrètes, plutôt que de rester campés sur vos positions et de vous contenter de critiquer.
J’essaye mais ça me tient trop à coeur !
Bien sûr, en plein conflit, nos émotions intenses (colère, tristesse, peur) nous replongent automatiquement dans notre territoire pour nous protéger : on « braque », on ne laisse plus de place à l’autre, et le dialogue s’interrompt. Ce n’est pas de la toxicité, mais un réflexe de survie ; hélas, il transforme souvent l’autre en adversaire plutôt qu’en allié.
Pourtant, les émotions sont précieuses : elles nous renseignent sur nos besoins et nos limites. Le défi est d’éviter qu’elles ne saturent l’espace de conflit au point de tout empêcher. Mon conseil : reconnaissez la légitimité de la colère, puis mettez en place un « code » simple (un mot-signal, un geste) pour faire une pause quand la tension monte. Cette coupure permet à chacun de se calmer et de revenir ensuite sur ce troisième terrain où l’on parle la même langue : « j’ai besoin d’une pause », « on en reparle dans dix minutes », etc.
Quand vous respectez ce rituel, vous envoyez un message clair : « je tiens à ce qu’on se comprenne, pas à te battre ». Et souvent, vous reprenez le dialogue de façon apaisée, ce qui renforce la confiance et consolide votre lien. Les disputes deviennent alors des occasions d’apprentissage mutuel et de croissance commune.
En revanche, si, après votre mot-signal, votre partenaire persiste dans l’agressivité et l’escalade pour « gagner » plutôt que pour « exprimer », vous retombez dans l’ancienne dynamique : chacun campe sur ses positions, persuadé d’avoir raison, et la discussion peut durer des siècles. Dans ce cas, vous pouvez poser calmement votre cadre : « Tu as le droit de penser et de dire ce que tu veux, je le respecte ; moi, je reste sur ma vision, et si on ne peut pas se rencontrer sur ce terrain commun, ce ne sera pas constructif. »
Quand consulter ?
Même si les outils de gestion de conflit sont précieux, il est essentiel de comprendre pourquoi vous n’arrivez pas à résoudre vos disputes : quels besoins profonds ou quelles blessures personnelles se réveillent, et vous empêchent de prendre du recul émotionnellement. Souvent, si l’on reste submergé par la colère ou la peine, c’est que ces émotions servent un but intérieur mais elles nuisent aussi à la relation.
Il n’est pas obligatoire de travailler le conflit à deux : imaginez-le comme une balance. Agir sur un seul plateau (sur vous-même) peut parfois suffire à rétablir l’équilibre. Cependant, si votre partenaire n’est pas prêt ou si la dynamique reste bloquée, vous n’avez pas de prise sur lui. Dans ce cas, apprenez aussi l’acceptation de ce qui ne dépend pas de vous.
Consultez un psychologue si, malgré vos efforts :
- Les disputes deviennent de plus en plus intenses et incontrôlables,
- Vous tournez en rond dans des cercles vicieux sans issue,
- Vous souffrez régulièrement et avez le sentiment de vous écraser ou, au contraire, de toujours « gagner » pour faire taire l’autre,
- Vous remettez en question la relation sans jamais parvenir à aborder le cœur du problème.
Un psychologue ou un thérapeute de couple vous aidera à décrypter vos réactions, à retrouver du recul et à rééquilibrer la dynamique, qu’il s’agisse de travailler individuellement ou à deux.